jeudi 30 mai 2013

Speak White

 Speak White



Speak white
il est si beau de vous entendre
parler de Paradise Lost
ou du profil gracieux et anonyme qui tremble
dans les sonnets de Shakespeare

nous sommes un peuple inculte et bègue
mais ne sommes pas sourds au génie d'une langue
parlez avec l'accent de Milton et Byron et
Shelley et Keats

speak white
et pardonnez-nous de n'avoir pour réponse
que les chants rauques de nos ancêtres
et le chagrin de Nelligan

speak white
parlez de choses et d'autres
parlez-nous de la Grande Charte
ou du monument à Lincoln
du charme gris de la Tamise
de l'eau rose du Potomac
parlez-nous de vos traditions

nous sommes un peuple peu brillant
mais fort capable d'apprécier
toute l'importance des crumpets
ou du Boston Tea Party

mais quand vous really speak white
quand vous get down to brass tacks
pour parler du gracious living
et parler du standard de vie
et de la Grande Société
un peu plus fort alors speak white
haussez vos voix de contremaîtres
nous sommes un peu durs d'oreille
nous vivons trop près des machines
et n'entendons que notre souffle au-dessus des outils

speak white and loud
qu'on vous entende
de Saint-Henri à Saint-Domingue
oui quelle admirable langue
pour embaucher
donner des ordres
fixer l'heure de la mort à l'ouvrage
et de la pause qui rafraîchit
et ravigote le dollar

speak white
tell us that God is a great big shot
and that we're paid to trust him
speak white
parlez-nous production profits et pourcentages
speak white
c'est une langue riche
pour acheter
mais pour se vendre
mais pour se vendre à perte d'âme
mais pour se vendre

ah!
speak white
big deal
mais pour vous dire
l'éternité d'un jour de grève
pour raconter
une vie de peuple-concierge
mais pour rentrer chez nous le soir
à l'heure où le soleil s'en vient crever au-dessus des ruelles
mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui
chaque jour de nos vies à l'est de vos empires

rien ne vaut une langue à jurons
notre parlure pas très propre
tachée de cambouis et d'huile

speak white
soyez à l'aise dans vos mots
nous sommes un peuple rancunier
mais ne reprochons à personne
d'avoir le monopole
de la correction de langage
dans la langue douce de Shakespeare
avec l'accent de Longfellow
parlez un français pur et atrocement blanc
comme au Viet-Nam au Congo
parlez un allemand impeccable
une étoile jaune entre les dents
parlez russe parlez rappel à l'ordre parlez répression

speak white
c'est une langue universelle
nous sommes nés pour la comprendre
avec ses mots lacrymogènes
avec ses mots matraques
Speak White
 

speak white
tell us again about Freedom and Democracy

nous savons que liberté est un mot noir
comme la misère est nègre
et comme le sang se mêle à la poussière des rues d'Alger
ou de Little Rock

speak white
de Westminster à Washington relayez-vous
speak white comme à Wall Street
white comme à Watts
be civilized

et comprenez notre parler de circonstance
quand vous nous demandez poliment
how do you do
et nous entendez vous répondre
we're doing all right
we're doing fine
we
are not alone

nous savons
que nous ne sommes pas seuls.




Michèle Lalonde, poétesse québécoise. Elle a écrit le fameux poème Speak White en 1968, qu'elle lut à La Nuit de la poésie 27 mars 1970, basé sur l’injure utilisée par les anglophones envers les francophones du Canada quand la langue française était utilisée en public.





samedi 11 mai 2013

Retiens-moi le monde


Retiens-moi le monde. 

Je ne sais si je dois vomir cette vie ou nourrir l'espoir d'un monde meilleur... Sans violence, sans pleurs. Sans le sang, et l'odeur du froid. Cent fois, mille fois plus de bienveillance envers nos frères et nos sœurs. D'humanité, de compassion...

Ah, le monde, j'envie ton indifférence.

Sensible à la cruauté des hommes, à l'injustice qu'ils maintiennent en ces temps nouveaux, j'ai honte de moi, de mes pairs aussi.
Mes pères eux ont-ils été de ceux-là?

Noirceur

 Je persiste malgré tout à croire au triomphe de la bonté, de la justice.  Oui, je voudrais croire que l'humanité est à délaisser l'adolescence, qu'elle s'engage maintenant vers le chemin de la Maturité.

Demain, nous serions toi et moi, reine et roi...
Trop d'humains aujourd'hui encore périssent de maladie, de l'absence d'une nutrition constante, à cause en plus de la méchanceté d'autres hommes, d'autres femmes, d'autres enfants aussi?

Trop d'hommes encore sont inhumains.

Religions, toutes, dénoncez les querelles humaines!
 
Ah, quand seras-tu assez homme, l'homme?

Vide

Malgré cela,  je dis que j'aime ma différence.
Oh! Retiens-moi quand même le monde,
je ne sais si je veux la terre,
de violences, ou souterraine... 

Ah, le monde, j'envie ton indifférence. 
Cette noirceur, cette absence de maturité
Malade, je suis malade : Trop d'hommes encore sont inhumains.
 
Vide

Car je ne sais si je veux cette terre
de violences, ou souterraine...















Une chambre


 
Vide et monotone
Nul autre qu'amertume
À la somnolence je me donne
Nuages de brume


Je n'ose ouvrir la porte
Peur de voir dehors
Sans aimer vivre de la sorte
J'y mords


Nuages pleins de trous
À l'éveil, au sortir
Du rêve, je suis si mou
Pourrir


Immonde réalité
Il me faut y retourner
Peut-être

Quand je n'aurai plus peur d'être...


M'écouter


M'écouter

 
Sans avoir rien fait pour l'être, je suis fatigué
Ennuyé d'entendre ce qui n'a pas été dit
Croire en ce que je ne crois pas


De voir le coupable laissé en liberté
Et l'innocent payer pour ce qu'il n'a pas commis
Je veux être sans être là


Trouver laide la vie si belle
L'amour remplacé par la jalousie
Détester la vieillesse pour aimer la jeunesse


M'allier à la Mort comme à l'ami
Contempler les nuages au lieu du ciel

Qui écouter?  ma conscience ou cette bassesse?


 
 

mercredi 8 mai 2013

Le Vaisseau d'Or















Le Vaisseau d'Or
 
C'était un grand Vaisseau taillé dans l'or massif.
Ses mâts touchaient l'azur sur des mers inconnues;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,
S'étalait à sa proue au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose ont entre eux disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?
Qu'est devenu mon coeur, navire déserté ?
Hélas !  Il a sombré dans l'abîme du Rêve !



dimanche 5 mai 2013

Repas en famille...


Repas de famille
 


Penchée sur le vieux poêle à bois
Ma mère suivait la fin de la cuisson.


Un bouilli de bœuf, repas si québécois
Ah, la vraie bonne chère!

Assit au bout de la table, mon père.
Nous enfants attendions, patients


Que soit placé au centre le chaudron.
L'humeur était au rire en notre camp

Et après avoir bouffé à notre guise
Mon père se levait, repus et bombé


Nous le savions, pour une dernière attisée
Et une soirée dehors sous une bonne brise...



La nuit




Alors que tous dorment
À soi ces belles heures
Les utiliser pour la forme
Chut ! Silence. Pas de heurt.

La vitre donne sur l'obscurité
Pas ou peu d’ennui en ce décor
Suffit aux pensées de s’ébruiter
Pour que seul le vent vire de bord.

Le silence s’élance sur le miroir
Dans un vrai beau grand noir de noir
Il s’étreint enfin puis s’éteint.

Réflexions, certaines en rimes
D’autres aux premiers abords
Au matin, les coucher pêle-mêle…




samedi 4 mai 2013

Ton visage

Cette première fois

Où je te trouve assise seule

Tout de suite à mes yeux

Ah, ce visage !



Si beau ! Moi tout en émoi

Je suis à mémoriser tes traits

Pour les chérir une fois seul

À jamais, à jamais. À jamais.



Ah, ne pas songer à cela !

Joues pêches sur fond ivoire

Lèvres fines rouge sourire



Je ne veux plus que te voir

Mais ton visage que déjà j’aime

Lentement se tourne ailleurs…




La dame au piano

 
 
           
Sur le Mozart elle joue Chopin
 
Devant eux sa figure est si petite
 
S'élèvent tous ces sons chagrins
 
De ce si triste Nocturne qui l'habite

 

À la lueur d'une faible lumière
 
Au piano… Forte, même frêle !
 
Ces douces notes qui fendent l’air

Telles des ailes, oui, telles des ailes !


 
En cette heure du do dièse mineur
 
Elle veut faire corps, acharnée
 
Jusqu’à la toute dernière gamme.


 
Et j’entends le piano chanter
 
Sous les doigts de ma dame
 
Colette, ma douce mère...









Maman

31 décembre 1927 - 19 mars 2014